Les artistes de l’ exposition : Partitions graphiques
La texture des toiles de Frédéric Klein, laissée parfois volontairement apparente afin d’en dévoiler leur majestueuse consistance, est rythmée par un subtil réseau de lignes ou d’espaces qui se rencontrent. Entre grâce et gravité ces rencontres se retrouvent sur les gravures de l’artiste et les sculptures de Yann Baco, où s’expriment à la fois la dureté des matériaux et la beauté du labeur. L’ensemble offre au spectateur une sensuelle partition graphique.
Chez Yann Baco, la matière impose le respect. Au souci esthétique, l’artiste répond par un souhait d’intemporalité. Ces lignes, droites et courbes, forment des motifs aériens qui se répondent, se superposent, se dissimulent selon l’angle de vue, offrant ainsi une œuvre sans cesse renouvelée. Dans les interstices de ces poèmes sculpturaux se dévoilent la grâce des espaces contenus des œuvres de Frédéric Klein.
Ce jeu de miroirs entre ces deux artistes nous offre une partition graphique où la sobriété se hisse au rang d’épure !
Frédéric Klein
Marqué par les ambiances qui se dégagent des photos de Brassaï ainsi que par la sensibilité des ardoises et des estampes de Raoul Ubac, Frédéric Klein propose un travail articulé autour de la thématique de la rencontre. Lignes de vie qui se rencontrent, tissent des liens, dénichent des passages, s’imbriquent, s’opposent, s’éloignent. Elles deviennent mémoire du temps écoulé, empreintes physiques du souvenir évanescent. S’en dégage une sonorité formelle, rythmée par ces lignes qui s’élèvent au rang de partition graphique. Elles impulsent une continuité qui s’étend au-delà des limites de l’œuvre, dans un hors-champ imaginatif et contemplatif.
La peinture s’est imposée à l’artiste comme une évidence. C’est pour Frédéric Klein un travail plus souple, plus libre, mais qui répond au principe d’étapes créatives successives. La préparation de la toile est un cérémonial au cours duquel l’artiste reprend les gestes et les matières des origines de la peinture. Ces toiles de lin ou de chanvre qui datent des années 1920, voire même du 18ème siècle, sont traitées avec beaucoup d’attention. Il les tend avec force et détermination, les fixe délicatement sur un cadre en bois avant de les enduire d’une préparation artisanale. Cette étape est primordiale et permet au travail créatif, à l’huile, de se déployer sur un territoire marqué par une forte identité plastique. L’œuvre finale étant déjà engagée par l’impact des étapes préliminaires.
Les œuvres peintes par Frédéric Klein ne sont pas des miroirs de ses œuvres gravées. Si la veine est proche, les facettes sont éloignées. C’est en effet une tout autre définition plastique qui marque la transcription de son travail de gravure en peinture. A la finesse et la pureté des rencontres gravées, l’artiste oppose la sobriété, la noirceur et la force des empreintes peintes.
Yann Baco
Yann Baco s’est d’abord exprimé à travers l’optique de l’appareil photographique puis de la caméra. Le cinéma et la télévision lui ont ainsi permis de faire ses premiers pas artistiques. Une page de vie qu’il a tournée, par éviction des consensus liés au travail de groupe, et par son besoin de traduire ce qui, seul, l’habitait.
Yann Baco s’est ensuite tourné vers la forge pour l’alchimie qui s’en dégage. La magie du feu qui transforme la noirceur du fer en lueur rouge incandescente et qui assouplit la rigidité du métal pour le faire céder aux requêtes du sculpteur. Il y a quelque chose de magique et de romantique dans le travail de la forge qui rassemble les quatre éléments : Le fer, issu de la Terre, subit l’intervention du Feu, activé par le souffle de l’Air et maîtrisé par l’Eau qui canalise le foyer. En découle une relation charnelle et spirituelle entre le matériau et l’homme à travers les outils qu’il utilise.
Si l’art est pour lui un moyen d’expression, ses mots ont la douce rigidité du fer. Ses sculptures sont une écriture. Certaines pièces ressemblent à des idéogrammes. Elles offrent un regard, une émotion, un partage, un témoignage de ce que l’artiste a ressenti face au matériau utilisé et aux outils qui lui ont servi à élaborer son œuvre. Avec pudeur, Yann Baco se livre dans ses sculptures. Les mots deviennent formes, angles, courbes et composent un poème sculptural.
La forge induit l’idée d’un univers viril à la fois sombre et flamboyant, empreint d’une forte charge acoustique. Et pourtant le geste de l’artiste qui fait courber la barre de fer est extrêmement doux, méticuleux. Par son incandescence le métal devient obéissant. Il se plie sous les gestes et les outils de l’artiste qui lui porte toute son attention. Avec parfois des envolées de violences imposées par la matière elle-même. Cette dichotomie instille à l’œuvre toute sa poésie.